Journal

18/07/2014 - Article

Le mouvement Do It Yourself

par Hélène Bienvenu, DIY Manifesto

Une révolution ?


En donnant à ce webdocumentaire le nom de « DIY Manifesto » nous avons voulu marquer du même sceau un ensemble de pratiques qui relèvent d’un nouveau vivre ensemble, régi par l’idée de partage et co-création.

Ces nouveaux modes de vie et de pensée façonnent le Détroit d’aujourd’hui, ils sont aussi à l’œuvre dans nos sociétés européennes comme un peu partout ailleurs. Le DIY (ou le Do It Ourselves) ne connaît pas de frontière. Il opère à force de « révolutions » citoyennes silencieuses, qui ont lieu localement, à l’échelle de la planète, et transcendent les générations, les appartenances, la couleur de peau... Un mouvement comme les Incroyables comestibles par exemple, qui vise à créer des parcelles d’abondance partagée est né en Angleterre. En France il fait un carton. Le rassemblement cycliste militant « Critical Mass », a vu le jour à San Francisco, or c’est en Hongrie qu’il a battu son record de fréquentation (100 000 participants).
Le DIY se fait « mouvement » universel, tout en restant épart et peu structuré. L’échelon local y joue un rôle prédominant ainsi que la notion d’espace public, de communauté, de convivialité mais aussi de spontanéité. Le DIY vise l’autonomie de ceux qui le pratiquent : à l’heure de l’homo numericus, il semble urgent de pouvoir se réapproprier ces outils pour mieux façonner le monde qui nous entoure.

Repenser la propriété

Dans la sphère DIY, les nouvelles (comme les anciennes) technologies rabattent les cartes de la propriété, la notion de biens communs (re)fait surface. C’est ce que l’on voit notamment du côté des Fab Lab, et autres foires « à la bidouille ». L’optimisation des ressources et le détournement d’objets fleurissent, le bricolage retrouve ses lettres de noblesse. A coup de marteau, de pioche, d’Arduino, de tricot, de pédales… les porteurs de la révolution DIY mènent une vraie réflexion sur le partage et la circulation des savoirs. Au delà, ils nous interrogent sur nos modèles de gouvernance. Comme le dit si justement Theresa, dans le court métrage intitulé Réseau 48217 : « Personne d’autre que nous ne se souciera de nous… Nous allons devoir apprendre à être nos propres techniciens ».
Toutes ces mouvances ne sont pas sans contraction. Elles connaissent aussi de cuisants échecs. La société DIY, si elle peut être un absolu, a souvent bien du mal à s’incarner. Notamment parce que le rapport à la sphère marchande n’est pas toujours tranché, comme l’illustre le succès mirobolant de certaines entreprises de l’économie collaborative. Quant aux projets les plus « DIY », il n’est pas rare qu’ils fassent l’objet de répression par les autorités, tel un violent retour de boomerang à l’attention de citoyens électrons libres… Donnie, personnage principal du court métrage Un hectare à Détroit, en a fait les frais. Sa « ferme », qu’il avait mis deux ans à mettre sur pied, s’est retrouvée rasée par la mairie de Détroit du jour au lendemain, sans aucune explication, il y a quelques semaines.

Pour mieux conclure le mois d'animation de ce webdocumentaire, nous avons interrogé deux praticiens / observateurs du DIY, sur ces tendances collaboratives qui visent à « construire ensemble ».

Emmanuelle Dreyfus, journaliste passionnée de nouvelles technologies et de création hors les murs / hors norme, collaborant avec Stradda, Graffiti Art magazine ou encore Ragemag.fr se souvient avoir rencontré le mouvement DIY au lycée. Cette quarantenaire, « antithèse de la manuelle (trop impatiente) » n’en demeure pas moins une observatrice avide d’un phénomène dont elle fréquente les acteurs. « Si à l'époque on ne parlait pas de DIY ou de Do it with Others, une chose est sûre, c'est qu'avec le recul, il s'agissait déjà de faire ensemble, de mener à bien des projets, avec très peu de moyens mais beaucoup de volonté, d'idées et d'imagination ».

Effet de mode et terminologie

Pour Emmanuelle, DIY ou DIO (Do It Ourselves) / DIT Do It Together, peu importe, aujourd’hui « des institutions surfent sur la tendance, et on a jugé bon de préférer le terme Do it with Others mais mon grand-père, et mon arrière grand-père faisaient déjà du DIY. J'ai toujours entendu le DIY en ce sens, et d'ailleurs ceux qui le pratiquent sont dans une démarche collaborative. Faire soi-même, ne s'est jamais entendu comme se couper du monde, mais plutôt comme reprendre la main sur sa vie de consommateur passif, maîtriser ce qui nous entoure tout en portant une réelle réflexion sur ce qu'on achète ».

DIY partout ?

D’une activité marginale, le DIY est devenu une pratique qui déborde sur des champs clés de la société. « Aujourd'hui, ce qui est intéressant, c'est de voir que même en architecture, on repense les schémas classiques. Des collectifs composés de paysagistes, urbanistes, designers, artistes, sociologues, architectes s'unissent pour penser la ville autrement, les flux et la société différemment. Par l'autoconstruction et la récupération de matériaux, ils parviennent à faire des constructions innovantes et peu chères » précise la journaliste. Etienne Delprat en fait partie. Cet architecte membre du collectif YA + K, auteur d’un des ouvrages de référence sur le DIY aujourd’hui : Système DIY (éditions Alternatives), est un bâtisseur 2.0 qui a eu envie « de passer à l'action ». YA + K est né de « l'envie de faire à plusieurs ». Cet été, c’est toute une ZAC à Ivry qui a été (co) aménagée. « Le collectif réunit un ensemble de gens pour qui le faire constituait une dynamique de travail intéressante pour penser et agir dans l'espace public. De là, une attitude pragmatique : faire soi-même car ça coûte moins cher, avec des éléments récupérés pour les mêmes raisons et le plaisir d'apprendre… le tout associé à une éthique (échange, réciprocité, éviter de produire des déchets, autonomie dans la production de nos idées). Rapidement on s'est rendu compte que cet état d'esprit était partagé et s'inscrivait même dans une généalogie. Ca nous connectait à tout un ensemble de mouvements (esthétiques, culturels, politiques…) qui nous avaient nourris jusqu'ici. Aujourd'hui, on continue à développer cette pratique de manière manifeste et très concrète (inventer des formats de travail, partager ça dans des workshops, diffuser un état d'esprit, la pédagogie…). »

Une révolution ?

Cette logique de fil en aiguille qui a conduit Etienne à co fonder un collectif, revèle un tournant au sein de nos sociétés : « on assiste à un changement de paradigme qui se situe au croisement de trois crises : écologiques, économiques et politiques. Le retour du DIY (qui n'a jamais disparu mais restait cantonné à des petites communautés) s'inscrit dans ce contexte. Ensuite, il y a aussi le besoin de se re-approprier les choses, son monde, son quotidien - envahi de plus en plus par des machines qui nous échappe, des machines obsolescentes ».
Etienne entrevoit le DIY comme « un croisement d'un ensemble de mouvements politiques et artistiques (hippies, punk, anarchistes, libertaire…) qui aujourd’hui s’élargit, voire se dé-politise. Ce qui pour ma part, pose problème. Il ne faut pas perdre de vue la posture et la visée politique. »

Limites et contradictions

Emmanuelle Dreyfus préfère éviter le terme de révolution mais elle entrevoit dans ces expériences DIY « l'embryon d'une société qui pourrait être pensée de manière transversale, horizontale, collaborative » tout en mettant le doigt sur un point délicat : les adeptes et apôtres du DIY sont encore minoritaires… « Nous ne sommes pas si nombreux à penser que hacker n'est pas un gros mot et que ramasser une vieille lampe dans la rue peut se transformer en objet déco ». Quant à savoir si demain, nous serions tous prêts à prendre le fer à souder… la réponse est non « la révolution est encore loin, car tout simplement, tout le monde n'a pas non plus envie de mettre les mains dans le cambouis, à commencer par moi ».
Pour Etienne Delprat, les imprimantes 3D pourraient paradoxalement constituer une source de dérives. « Le concept d'auto-réplication, de démocratisation des outils est super. L'accès à l'outil de production fait émerger d'autres modèles comme la micro-usine... Mais aujourd'hui, les capacités reste ultra-artificielles et on est plus dans la recherche et le défi technologiques que dans une réflexion élargie. Il y a un vrai marché qui s'ouvre autour de cette logique de multiplication des objets qui ne servent à rien. Ceux qui les achètent sont des consommateurs, or c'est à la base même qu'il faut que le changement s’opère : dans les esprits ».