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01/07/2014 - Article

Les Punks, pionniers du DIY

par Hélène Bienvenu, Usbek & Rica

Un courant musical adepte du « fais-le toi-même »


Le mouvement Do It Yourself doit beaucoup aux musiciens Punks, qui ont érigé le « fais-le toi-même » en véritable philosophie de vie, au-delà de la simple autoproduction.

Loin des crêtes, pogo et des Punks à chien, immersion aux racines du DIY, avec Fabien Hein, sociologue, maître de conférence à l’Université de Lorraine, et auteur de Do It Yourself, autodétermination et culture punk (édition le Passager clandestin).

Dans les années 70, alors que le retour de bâton s'abat sur les sociétés soix-huitardes, le mouvement punk émerge comme pour mieux déranger l’ordre établi. Partie de Détroit (les Stooges et les MC5, considérés comme précurseurs, sont « made in Motor City »), la déferlante atteint les rivages londoniens, puis français et se répand dans le monde entier, pour perdurer encore aujourd’hui.

 

Le DIY, un principe cardinal

Si le DIY existe depuis l’aube des temps, les groupes punk ont fait du « fais-le toi-même » une « une valeur cardinale » comme l’affirme Fabien Hein, fin connaisseur de la scène punk-rock.
Le point de départ est simple : boudés par les majors du disque, les Punks se sont produits eux-mêmes. Une manière aussi, pour ces rebelles du label, de s’opposer à l’industrie musicale qui « dépossède les artistes », et cherche à leur imposer des intermédiaires comme le souligne Fabien Hein, qui voit là une vraie « émancipation »

 

Contrôler toute la chaine

Mais le phénomène ne s'arrête pas là : presser ses vinyles, c’est bien, encore faut-il pouvoir les écouler... Les Punks se lancent alors dans l’autodistribution en organisant des « distro », de la vente directe par correspondance ou sur des stands lors de concerts. Ils poussent aussi au partage y compris entre labels « pour que la scène punk existe, ses acteurs sont obligés de collaborer : un seul disque cache souvent 6-7 labels indépendants » précise l’universitaire. Et lorsqu’il s’agit de dégoter un lieu de concert, le « Faisons-le ensemble » triomphe : « les Punks fonctionnent par réseau d’interconnaissance et pratiquent l’entraide pour trouver des squats ou des salles de concert. Aujourd’hui sur Internet, on trouve des moteurs de recherche pour les Punks en quête de salles et de contacts ». De fil en aiguille, les Punks finissent par contrôler l’ensemble de la chaîne de production et de distribution, gérant également leur communication, allant jusqu'à créer tout un écosystème participatif, basé sur des fanzines, ces magazines à budget très réduit.

Ian MacKaye, chanteur des Minor Threat et codirigeant du label Dischord Records déclare ainsi « on se manage nous-mêmes, on trouve nos dates nous-mêmes, on gère l’entretien de notre matériel nous-mêmes, on ne peut pas tourner tous les jours de l’année parce que quelqu’un doit bien chercher des dates à un moment donné » (op. cit., p.48)

 

« Faisons-le ensemble »

En invitant leur public à interagir, les Punks dépassent le strict cadre du DIY pour entrer dans le « Do It Ourselves » (ou encore DIT : do It Together, « faisons-le ensemble »). Ainsi, dans le tout premier fanzine punk, Sniffin Glue, paru en Angleterre en 1976, Mark Perry écrit « j’invite tous les lecteurs de Sniffin Glue à ne pas satisfaire de ce que nous écrivons. Passez à l’action et démarrez votre propre fanzine ou envoyez vos propres chroniques aux magazines officiels » (cité dans Do It Yourself, autodétermination et culture Punk p. 20). Quelques mois plus tard, Sideburns, un autre fanzine britannique publie une illustration qui résume parfaitement la philosophie punk « voici un accord, en voici un autre, maintenant monte ton propre groupe » (op. cit.,). Et Fabien Hein de conclure que la vulgate punk participe « de la démocratisation des pratiques culturelles (…) désormais, chacun est en capacité de passer à l’acte ». Certains Punks, vont jusqu'à voir dans le DIY, « un outil d’éducation populaire », et élaborent pléthore de « guides dédiés ». Les Punks, pères des tutoriels ? Le spécialiste lorrain n'est pas loin de le penser « c’est bien au sein de la scène musicale punk que cette tradition prend son essor, à la fin des années 80 ».

 

Un message d’une étonnante modernité

Le succès de certains Punks, décrochant du DIY pour rejoindre le star system ne doit pas faire oublier ceux qui sont restés fidèles à leur engagement de partage et d’autonomie. Ceux-là ont fait de nombreux disciples au sein de la scène punk contemporaine. Rien d'étonnant pour Fabien Hein qui voit une convergence d'époque : « aujourd’hui, on essaie d’inventer un nouveau modèle de société, la capitalisme agonise, les gens n’y trouvent pas leur compte. Les Punks s’inscrivent dans cette logique. L'individu se retrouve dépossédé de ses outils, certains Punks eux ont su se les réapproprier ».

Notre futur tout court pourrait bien appartenir à ceux qui chantaient pourtant le « no future ».