Journal

03/06/2014 - Article

Le Village Vertical

par Hélène Bienvenu, DIY Manifesto

14 logements coopératifs à Villeurbanne


En pleine crise du logement, le co-habitat ou habitat partagé a la côte. Partager avec ses voisins des espaces communs (chambres d’amis, laverie, garage, jardin…) pour maximaliser la surface disponible, tout en mutualisant les coûts et l’impact environnemental, le concept séduit les Norvégiens, les Suisses, les Allemands, depuis des années.

Au tour des Français de reprendre en main tout ou partie de la construction, la gestion ainsi que les droits de propriété de leur logement. Et de se frotter aux décisions prises au consensus. Une manière de faire barrage à la spéculation immobilière et de renouer avec la convivialité.

Si les formes juridiques du co-habitat sont diverses (co-location, SCI...), l'habitat en coopérative est désormais encadré en France par la loi ALUR, adoptée en 2014 (le statut avait été dissout en 1971).

A Villeurbanne dans la proche banlieue lyonnaise, les résidents du Village Vertical ont fait le choix d’une coopérative pour gérer un immeuble qu’ils ont aidé à faire sortir de terre il y a un an et qu’ils partagent avec la société HLM Rhône Saône Habitat. Une première en France.

Dans leur immeuble fringant et coloré à 15 min de la Part Dieu, les « Villageois » savourent leur récente installation dans 14 logements au sein d’un immeuble qui en compte 38. La rue fraîchement dessinée est encore en graviers mais les 30 coopérateurs (20 adultes et 10 enfants) ont déjà pris leurs marques. Il faut dire qu’en 8 ans de préparation, ils ont appris à se connaître « on a dû composer avec la réalité, on a vu plein de groupes non pragmatiques se défaire pour moins que ça » annonce Antoine. Ce père de famille, moteur du projet, a été rejoint par d’autres aspirants résidants au fil de l’aventure villageoise. En 2005, à l’heure de fonder une famille, Antoine ne trouvait pas logement à sa convenance. « Tout ce qu’on me proposait c’était le pavillon de banlieue couplé à la voiture. Pour moi c’était hors de question. Comme je ne trouvais aucun logement qui répondait à mes critères de solidarité et de non-spéculation, on a décidé de l’inventer à plusieurs ! ». Le résultat est probant malgré quelques concessions « nous avons dû abandonner les toilettes sèches, en collectivité cela coûte trop cher. De même, la laine de chanvre n’est pas encore certifiée en France… Et puis, on a dû se plier à la réglementation qui oblige à la création de places de parking. On en a construit 10 places à 15 000 € / pièce. Seules 4 box sont effectivement occupées par des voitures… ».

Le Village Vertical comprend un jardin, quatre chambres d’amis, une laverie commune, une salle mixte (où sont distribués les paniers d’abralégumes le jeudi, une AMAP fonctionnant avec des petits producteurs locaux), une terrasse mais aussi une citerne de 7 000 litres d’eau de pluie, un toit photovoltaïque et un système de pompe à chaleur qui récupère la chaleur de l’air, extrait des logements, pour préchauffer l’eau chaude sanitaire soulageant ainsi la chaudière à granulés de bois.

Le Village Vertical innove aussi sur la question de la propriété « tout le monde est à la fois locataire et collectivement propriétaire de l’immeuble » se réjouit Antoine.

Pour Philippe, également père de famille et résidant du village, le pari écologique, humain et social est réussi « l’isolation est excellente, nous ne sommes pas loin d’un bâtiment passif (ne consommant pas d'énergie NDLR), tout en disposant de quatre logements très sociaux pour des jeunes en insertion » conclut ce praticien en massages bien-être dont le cabinet se trouve au rez-de-chaussée. Cerise sur le gateau « nous avons réussi à négocier un parquet en bois d’essence locale et du bois au lieu du PVC pour les fenêtres ». Autre détail, le Village a eu recours « à de la peinture ultra écolo » ajoute Philippe, en installant son fils de deux ans devant l’ordinateur.

L’appartement de 86 m2, occupé à trois au dernier étage est cossu, lumineux et bien pensé : une cuisine « américaine » donnant sur le séjour, un balcon attenant à la cuisine, une mezzanine et trois chambres en enfilade « tous les logements se ressemblent à peu de choses près. La cuisine et les peintures ont souvent été posées en auto-finition » souligne son occupant, qui s’acquitte d’une « redevance » de 1 000 euros par mois (soit l’équivalent de son loyer précédent pour une surface plus grande), et a divisé ses charges par 4 depuis qu’il a déménagé au Village. « Le quartier ne me branchait pas trop mais j’ai trouvé chez les Villageois une vraie maîtrise de la conduite de réunions, un respect de la communication non violente, une volonté de monter un projet durable. J’étais dans une autre initiative similaire, où l’affectif avait pris le dessus. Au Village ça n’a pas été le cas ».

Philippe estime son implication dans le chantier à un quasi mi-temps pendant presque deux ans. Pour ce qui est du suivi de la gestion, le Village impose une réunion obligatoire par trimestre (ce soir-là, deux nounous sont mutualisées) et des réunions facultatives presque toutes les semaines où l’on discute notamment des espaces communs. « On débat parfois sur : faut-il des rideaux de douche en plastique ? » s'amuse Philippe. Pas de doute, au Village Vertical, la démocratie directe ça se vit ! Et les relations avec les voisins (qui partagent le même immeuble, disposent de logements identiques aux Villageois mais ne prennent pas part à l’autogestion, pouvant par ailleurs devenir propriétaires de leur logement) c’est une école au quotidien « il y a eu des opposants au compost dans le jardin. Mais c’était le but du jeu : les Villageois ont fait le choix de vivre en milieu urbain sans verser dans l’entre-soi militant ».

Et Philippe de montrer du doigt la « trappe » à chaleur incrustée dans le plafond de la cuisine. « Se loger est devenu très compliqué pour la classe moyenne, pas de doute la crise a fait pousser des velléités d’habitat collectif. En France, nous avons 30 ans de retard sur nos voisins allemands pour ce qui est du logement coopératif. En ayant fait le choix d’habiter ici, je n’ai pas une démarche patrimoniale mais bien politique. Mes héritiers auront grandi avec des valeurs de partage et d’écologie, ils ne récupèreront qu’assez peu de biens matériels » affirme-t-il. Un modèle qui en somme troque le droit de propriété classique pour des liens de voisinage renforcés « tout le monde aspire à disposer d’un vrai entourage solidaire. Nous, on sait qu’on a tapé juste ».

Le Village Vertical, projet pilote de Habicoop a déjà fait des émules. Au point que la structure, qui dispose de formations à l’habitat coopératif se voit obligée de refuser du monde. « Le mode de production de notre immeuble pourrait s’appliquer à 70% du parc immobilier neuf. Quant au modèle du Village, il est à la portée de tous, il suffit d’un peu de détermination » conclut tout simplement Philippe.