Journal

22/05/2014 - Article

A Madrid, la ville s'autoconstruit

par Hélène Bienvenu, Terra Eco

Des architectes façonnent du mobilier mobile


Ce lundi matin, le Matedero, les anciens abattoirs de Madrid reconvertis en espace culturel, sont fermés au public. Cela n'empêche pas Jon, Diego et Pablo, membres de Todo por la Praxis, de s’activer en coulisse. Le téléphone retentit. Diego, bob sur la tête et sweat à capuche, décroche. « Je regarde tes plans dans cinq minutes ! » et s’excuse aussitôt : « demain, on prend la route pour la Castille, pour réinvestir un vieux cargo industriel. La semaine d’après, on sera à Burgos, au nord de Madrid, pour travailler sur un espace sous- utilisé et un ami à nous est en train de monter son bar à Madrid ! » Autour de l’architecte, une dizaine de chaises longues et un bureau en bois. Tout est signé TXP. Todo por la Praxis.

Fondé en 2008, ce collectif d’architectes madrilène pratique la
co-construction de mobilier urbain mobile (bancs, gradins, balançoires...) sur la place publique. Autrement dit, ses membres interviennent à la demande des communautés qui les sollicitent (entre 15 et 20 fois par an) pour embellir les espaces publics et renforcer le lien social. Les interventions peuvent durer de quelques jours à plusieurs semaines. Adeptes du design participatif, les membres de TXP élaborent les projets sur le terrain avec les communautés concernées, qui participent au chantier. « L’important ce n’est pas l’objet que l’on construit mais le processus de construction. On voit la communauté se construire au fur et à mesure, c’est ça qui nous intéresse dans le DIY » explique Jon. « Le bonheur suprême c’est quand un boucher et un architecte participent à la construction d’un même objet ! Et nous, nous ne sommes que de simples tuteurs ! » renchérit Diego.

Abolition du droit d'auteur

A côté de Diego, un plan de travail convertible rehaussé d'un tableau noir. Diego allume le néon intégré à la paroi. Sur le bureau, un bout de papier : une notice, façon Ikea, décorée d’une bouille à la Anonymous. « Nous avons mis au point plusieurs manuels permettant de construire pas à pas des éléments de mobilier urbain. Pour nous, cela relève du partage de savoir : en fournissant une boîte à outils modulable, nous pratiquons une architecture du « copy left » explicite Diego, jouant sur l’expression copyright (droit d’auteur). Le trentenaire, apôtre de l'« open source », plaide pour l’abolition du droit d’auteur.

Véritables kits de survie pour apprentis makers, les manuels de TXP sont téléchargeables sur Internet. Ils sont aussi mis à disposition des communautés où le collectif intervient. Pour des applications in situ, parfois inattendues : « Un même gradin multi-usages a été utilisé dans un espace artistique et sur une place publique fréquentée par des retraités. C’est

fascinant de voir les communautés s’approprier, reproduire, améliorer ces objets », se félicite Diego.

Parmi les dispositifs fétiches de TXP, on retrouve la cuisine mobile, construite à partir d’une benne à ordure ; les sièges en bois ou encore le soundsystem guerilla, pour donner de la voix aux revendications de la communauté.

Chantres de la pratique

Architectes du libre, les fondateurs de TXP sont avant tout des chantres de la pratique : « On travaille dans la rue, on met au point des outils avec et pour la communauté. En ce moment, nous sommes impliqués auprès d’une association de voisins, dans un quartier du sud de Madrid, fortement touché par le chômage. On construit un jardin communautaire dans un parc » annonce Diego.

Recoins urbains délaissés et espaces publics à redéfinir sont autant de terrains de prédilection du TXP : « ça nous arrive souvent d’avoir affaire à un espace qui souffre de sa réputation, en prise aux trafics de drogue. Il suffit de quelques interventions simples pour que la communauté se réapproprie l’espace et réhabilite le lieu », à condition, évidemment, que la communauté s’implique. Jon y tient. « C’est à la population concernée de décider de ce qu’elle veut, même si nous pouvons assister ses membres dans le processus de consultation et de décision. »

Pour pouvoir maintenir des interventions à la portée de tous, TXP a recours au recyclage : « On aime bien détourner des objets, notamment les « déchets » industriels, comme les conteneurs mais on n'est pas des intégristes de la palette, loin de là ! », s’amuse Jon. Le noyau dur de TXP (cinq membres) travaillent à plein temps sur les projets du collectif, en partie financés par les pouvoirs publics mais également par les revenus issus de formations. Le collectif qui comptait jusqu’à trente membres s’est professionnalisé, certains s’en sont allés.

Comme pour mieux consigner ces pratiques qui ont fait leur preuve, Todo por la Praxis vient de fonder un institut du DIY, le DIY Instituto. Ce laboratoire ouvert à tous, à l’instar des Fablab, devrait à l’avenir concentrer outils et techniques de co-construction. « Nous sommes encore en recherche d’un espace et d’un modèle économique. Nous aimerons nous affranchir des financements publics avec, par exemple, une souscription annuelle de 20 euros. »

En attendant, le DIY Instituto est hébergé au Matadero. Il ouvre ses portes au public, deux fois par semaine, lors d’ateliers de confection de mobilier urbain et de bureau DIY. En toute gratuité.